Éloge funèbre: Heather Bastien
** Éloge funèbre ** L’héritage de Heather Bastien dans le territoire traditionnel des Hurons-Wendats
Une grande amie pour nous tous et une aînée remarquable, Mme Heather Bastien, est décédée la semaine dernière. L’Ontario a perdu l’un de ses plus grands champions du patrimoine culturel autochtone.
Après des décennies de négligence et de destruction résultant du développement urbain dans le sud de l’Ontario, les efforts que Heather a déployés, avec Luc Lainé, un conseiller juridique et quelques archéologues dévoués ont eu pour effet de protéger des douzaines d’importants villages et de lieux de sépulture wendats.
De plus, quatre lois de la province de l’Ontario ont été réformées par suite directe de ses démarches pour faire reconnaître les droits des Autochtones.
Après avoir pris sa retraite dans la soixantaine avancée, Heather s’est rendue avec ses sœurs à Midland, en Ontario, en 1999, pour visiter le territoire traditionnel de sa nation, les Hurons-Wendats. Elle n’était jamais allée en Ontario. Un dépliant de Parcs Canada à Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons l’a piquée au vif : il y était dit que les Hurons étaient une ethnie disparue.
Ce que peu de gens savaient, c’est que le peuple huron-wendat, lorsqu’il a été refoulé du sud de l’Ontario en 1650, avait laissé derrière lui un vaste patrimoine de villages, de lieux de sépulture, de sites sacrés, de toponymes et d’artefacts. Avec l’explosion du développement sur l’ensemble de l’ancien territoire des Hurons-Wendats, quelque 8 000 sites culturels autochtones patrimoniaux ont été détruits; de ce nombre, 2 000 étaient d’une importance considérable. Pour la plupart, c’étaient des sites hurons-wendats.
Tout cela a changé en 2001. Heather était invitée à une cérémonie au bord de la rivière Rouge, où se trouvait autrefois une communauté huronne-wendate florissante; c’est là qu’on nous a présentés.
La société immobilière Ontario Realty Corporation, une organisation gouvernementale, avait donné un terrain au Conseil des cimetières catholiques pour leur permettre d’aménager un cimetière de 50 000 lopins, adjacent à un important village wendat du 14e siècle, appelé « site Milroy ». Heather voulait savoir pourquoi les Hurons-Wendats n’avaient pas été consultés et comment il serait possible que tant de travaux d’excavation ne désacralisent pas le lieu voisin d’ensevelissement de masse ou « ossuaire » de ses ancêtres, qui n’avait pas encore été découvert.
Les organismes Environmental Defence et Save the Rouge, ainsi que la nation huronne-wendate ont uni leurs forces pour intenter une remarquable poursuite privée du gouvernement de l’Ontario en vertu de la Loi sur les évaluations environnementales pour n’avoir pas consulté les Premières Nations.
Le gouvernement a soutenu lors du procès que l’opinion d’un consultant en archéologie, qui était passé en auto près du site en compagnie d’une femme mohawk, constituait une consultation suffisante. Le juge a bien ri, mais il ne riait plus quand notre témoin clé, le commissaire à l’environnement Gord Miller, a déclaré au tribunal que le gouvernement de l’Ontario avait enfreint la loi. La condamnation que nous avons obtenue ensemble créait un précédent; le Globe and Mail a dit de cette affaire que c’était une victoire marquante pour le peuple huron-wendat et les droits des Premières Nations au Canada.
Les Hurons-Wendats et leur héritage étaient enfin légalement reconnus en Ontario.
Ce qui a suivi, c’est un raz-de-marée d’avis aux Hurons-Wendats, signifiés en vertu de la Loi sur les évaluations environnementales, de nouveaux projets qui menaçaient des villages et des lieux de sépulture hurons-wendats à travers le sud de l’Ontario.
Les promoteurs et d’autres Premières Nations qui craignaient de perdre des terres et de l’autorité sur des sites autochtones ont lancé une contestation juridique du nouveau statut des Hurons-Wendat. La cause a obligé Heather, alors âgée de plus de 70 ans, à témoigner au nom de sa nation dans une autre cause historique, à Seaton, en Ontario. Heather et Luc Lainé avaient négocié avec le gouvernement de l’Ontario un accord de conservation du patrimoine décisif, qui allait assurer la protection de quatre importants sites hurons-wendats d’un seul développement urbain, un accord d’exploitation d’une importance capitale (jamais vu, ni avant ni depuis). Le tribunal était d’accord avec tout ce que Luc et Heather avaient fait et, qui plus est, que les Hurons-Wendats étaient les seuls habilités à conclure l’accord concernant leurs sites. C’était une nouvelle victoire, le tribunal ayant reconnu à l’unanimité l’intérêt légitime des Hurons-Wendats pour la documentation de leur patrimoine archéologique en Ontario.
Le 7 décembre 2005, l’Ontario Realty Corporation a remis à Heather Bastien un certificat attestant qu’un site wendat en Ontario porterait désormais le nom de la famille Bastien, soit le Site Sébastien, dans la ville de Pickering. Cet honneur a été conféré en remerciement pour l’importante contribution de Heather à la conservation et la protection des sites et des ossuaires trouvés partout en Ontario.
Après la cérémonie, les médias ont cité Jim Butticci, porte-parole de l’Ontario Realty Corporation (ORC), qui avait dit : « Nous sommes d’avis que c’est un événement important dans la relation continue que l’ORC établit avec la communauté des Premières Nations. Le fait même que nous l’ayons nommé Sébastien est très significatif » [traduction].
La désignation de sites autochtones du nom d’archéologues, de propriétaires de terrains ou de presque n’importe quoi était une tradition de longue date en Ontario, jusqu’à ce que Heather et Luc y mettent fin. Les lieux de sépulture et les sites de villages portaient généralement des noms comme « Seed-Barker », « Milroy », « Teston Road » ou « Park » (d’après un parc à roulottes avoisinant). Heather s’est fait une mission d’attribuer respectueusement de nouveaux noms à des sites autochtones anciens et nouveaux.
Le jeudi 28 mars 2013, à Wendake, au Québec, on remettait à Mme Heather Bastien la Médaille du jubilé de diamant de la reine Élizabeth II. La médaille lui était présentée par l’Association nationale des anciens combattants autochtones pour le travail de commémoration de sites culturels patrimoniaux hurons-wendats qu’elle avait fait en les renommant d’après des anciens combattants hurons-wendats, comme Marcel Bastien et Fernand Lainé, qui avaient été si mesquinement traités à leur retour de la guerre.
Mais la plus grande victoire de Heather et Luc est peut-être la préservation de Skandatut, avec le rapatriement et la réinhumation de 2 000 squelettes hurons-wendats dans un ossuaire à Vaughan (Ontario), à proximité. Skandatut est le site d’un très grand village du 15e siècle dans la ceinture de verdure de l’Ontario qui aurait servi à une époque de capitale huronne-wendate. Un promoteur demandait un permis d’exploitation afin de détruire le site pour faire place à de nouvelles maisons et avait entrepris l’excavation du site.
Une autre poursuite en justice a eu lieu, ainsi qu’une incroyable campagne de sensibilisation et d’éducation du public dirigée par Heather, Luc et Environmental Defence. En fin de compte, le chef national Shawn Atleo de l’Assemblée des Premières Nations a écrit au premier ministre Dalton McGuinty, disant que Skandatut était un site historique et archéologique d’une grande importance internationale et en demandant la préservation au nom de tous les peuples des Premières Nations.
Le premier ministre l’a entendu, il a donné un ordre de cessation des travaux sans précédent en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario. Heather et Luc sont allés à Toronto de très nombreuses fois dans le cadre d’une négociation dirigée par la province, dont le point culminant fut la création d’un parc de 10 acres, au cœur duquel se trouve Skandatut.
À cette époque de l’histoire de l’Ontario, les lieux de sépulture autochtones étaient systématiquement déterrés, sans consentement, à des fins d’études ou pour faire place à des projets de développement. La Loi sur les cimetières de l’Ontario n’exigeait pas, lorsqu’un lieu de sépulture était découvert, qu’un avis soit donné aux descendants légitimes, c’est-à-dire la nation autochtone la plus étroitement apparentée sur le plan culturel, mais plutôt que la Première Nation la plus proche (sur le plan géographique) en soit avisée. En août 2005, par exemple, lorsque les travaux d’un chantier routier ont ouvert un ossuaire sur le chemin Teston, à Vaughan, le gouvernement a fait appel à un représentant de la nation Anishnawbe pour diriger la réinhumation. Pendant des décennies, personne ne s’était occupé des sépultures des Hurons-Wendats. Heather et Luc ont entrepris de modifier les lois sur les lieux de sépulture autochtones et l’appartenance culturelle.
Ils ont été confrontés à leur plus grand défi lorsqu’ils ont appris que l’Université de Toronto entreposait depuis longtemps (sur la rue Huron, imaginez) des milliers d’ossements que des archéologues avaient trouvés dans des ossuaires partout en Ontario. Les restes de près de deux mille ancêtres hurons-wendats étaient entreposés, tout emmêlés par type d’ossements, dans des boîtes de rangement de documents portant des mentions comme « crânes », « fémurs », « dents », etc., griffonnées sur les côtés des boîtes.
Quand Heather est entrée pour la première fois dans l’aire d’entreposage, l’accablement s’est emparé d’elle. Pour aggraver les choses, l’Université de Toronto a commencé par revendiquer la propriété des ossements, maintenant qu’elle avait le droit de continuer à faire des expériences scientifiques sans consentement. Une nouvelle poursuite judiciaire a été engagée, avec Heather et Luc à la barre pour les Hurons-Wendats. Avec une persévérance, une patience et une conviction irrésistibles, ils sont arrivés graduellement à persuader l’Université de Toronto et la Fiducie du patrimoine ontarien. Un site a été trouvé pour la réinhumation des ossements sur la rive opposée à Skandatut de la rivière Humber, le long du sentier « Toronto Carrying Place Trail » [chemin de portage de Toronto], maintenant appelé Ossuaire Thonnakona.
En mai 2012, dans le but de finaliser l’accord de réinhumation Thonnakona, Heather et une délégation de la nation huronne-wendate se sont rendus à Miami, en Oklahoma, pour conclure un accord sur les sites ancestraux avec la Première Nation des Wyandottes, séparée de celle des Wendats en 1650.
Un jour de septembre 2013, sous un ciel ensoleillé, les restes des ancêtres ont été portés en terre dans une cérémonie qui a duré toute la journée. L’Ossuaire Thonnakona et le Skandatut protégé depuis peu seraient pour toujours liés et protégés dans le premier paysage réservé du patrimoine culturel de l’Ontario.
Lorsqu’on lui a demandé ce que signifiait pour elle la préservation de Skandatut et de l’ossuaire, Heather a répondu en remerciant la province de l’Ontario :
« Nous avons créé un paysage du patrimoine culturel préservé en permanence dans la ceinture de verdure. La préservation de Skandatut, notre ancienne capitale et cimetière, est un legs considérable pour toutes les nations. » [traduction]
Dans le cadre de cet héritage, Heather et Luc ont déterminé qu’il était prioritaire de mettre un terme à des décennies d’indifférence et d’hostilité à propos de sites anciens entre les trois Premières Nations fondatrices de l’Ontario. Heather, Luc et l’équipe juridique ont assisté à plusieurs assemblées générales annuelles de l’Assemblée des Premières Nations, où des réunions entre les Hurons-Wendats, les Haudenosaunees et les Anishnawbes ont abouti à la signature d’un protocole d’entente pour la création du Cercle des Premières Nations fondatrices, indiquant clairement que, lorsqu’un village ou un lieu de sépulture est menacé, les droits et les responsabilités sont cédés à la Première Nation la plus proche parente sur le plan culturel.
Il y a encore un dernier projet à signaler. En 2010, Heather et Luc ont entrepris une collaboration avec Yap Films, la chaîne de télévision History et la firme de consultants en archéologie ASI pour la production d’un film au sujet d’un artefact particulièrement remarquable trouvé sur le site d’un village du 16e siècle, à Stouffville, en Ontario, parfois appelé le « Manhattan » des sites de villages hurons-wendats. L’excavation du site Mantle a révélé la présence d’un morceau d’un outil de fer basque, qui avait été curieusement enterré dans une maison longue antérieure au contact direct avec des Européens dans la région des lacs Ontario et Érié. Le film qui en est résulté, intitulé « Curse of the Axe » [la malédiction de la hache], mettait en vedette Luc et Heather qui animaient l’expérience de se retrouver face à face avec les ancêtres. Le film a été vu maintenant par plus de trois millions de personnes autour du monde, prolongeant d’autant la portée des Hurons-Wendats dans la conscience nationale et internationale.
Heather a non seulement fait changer les opinions au sujet des droits des Autochtones, elle a aussi fait changer la loi de quatre manières différentes. Premièrement, la consultation des Premières Nations directement concernées est maintenant obligatoire en vertu de la Loi sur les évaluations environnementales. Deuxièmement, la Loi sur les cimetières a été reformulée pour que la Première Nation la plus rapprochée sur le plan culturel soit avisée lorsqu’un lieu de sépulture est perturbé. Troisièmement, en vertu de la Loi sur l’aménagement du territoire de l’Ontario, la politique 2.1.6 de la Déclaration de principes provinciale dit maintenant que « les paysages du patrimoine culturel d’importance sont conservés ». Enfin, les « Normes et directives à l’intention des archéologues-conseils » sous le régime de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario exigent maintenant la consultation des Premières Nations avant que l’excavation d’un site soit autorisée.
Ces réformes législatives extraordinaires résultent d’une collaboration dirigée par Heather et Luc et leurs nombreux amis en Ontario, notamment le cabinet d’avocats Donnelly Law, l’organisme Environmental Defence, la firme de consultants en archéologie Archaeological Services Inc., Jacques Huot, Andrew Stewart, Ph. D., le cabinet d’avocats Gilbert’s LLP, des organisations de défense des droits des femmes et des Autochtones. En tout, Heather et Luc ont enrôlé près de 100 professionnels, avocats, archéologues, scientifiques, médias et politiciens dans leur quête de justice pour le peuple huron-wendat.
Lorsque Heather a finalement « pris sa retraite » en tant qu’agent de liaison du patrimoine culturel huron-wendat, en 2013, elle avait participé à l’évolution de 53 dossiers au cours d’une douzaine d’années de défense et de promotion des droits et des intérêts des Hurons-Wendats, presque entièrement à titre bénévole.
Elle serait très fâchée contre moi si je vous donnais l’impression que son travail est terminé. Les ossements de quatre-vingt-dix-sept ancêtres hurons-wendats servent à des expériences à l’Université d’État de la Louisiane et le conseiller juridique de l’université refuse de les rendre. Ces ossements ont été volés dans un ossuaire à Oshawa, en Ontario.
Le site Web de la ville de Toronto dit toujours que notre région était occupée par des Iroquoiens, au lieu de préciser qu’il s’agit du fier peuple huron-wendat. Cette formulation irritait Heather et elle disait, pour me taquiner, « essaie donc d’appeler un Irlandais mangeur de patates ».
Enfin, comme l’exige la loi, des avis de projets qui menacent des sites de Premières Nations sont donnés à des populations locales, aux autorités en matière de conservation, à des conseils scolaires, à Hydro Ontario, aux services publics de gaz et d’électricité, au câblodistributeur Rogers et à d’autres fournisseurs d’infrastructures de communication, et la liste continue.
Le règlement exige seulement d’aviser la Nation huronne-wendate d’un projet qui menace vos sites ancestraux, et je cite le règlement : « si la première nation se trouve sur une réserve dont une partie est située dans un rayon d’un kilomètre de la zone visée par le plan de lotissement proposé ». Pour les projets réalisés en Ontario, cela veut dire que l’avis n’est JAMAIS donné aux Hurons-Wendats. Cette disposition est profondément raciste et insultante pour les Premières Nations et doit être corrigée.
Maintenant, j’entends la voix de Heather : « Assez parlé de moi, David, dis-leur seulement que le travail est loin d’être terminé ».
Alors, je lui répondrai : « C’est vrai, Heather, mais toi et Luc avez remis les Hurons-Wendats sur la carte dans votre territoire traditionnel. Les droits et les responsabilités des Hurons-Wendats ont été rétablis en ton nom; ton travail est terminé ».
Merci, Heather.
R.I.P. Heather Bastien, 1932-2017
Allocution faite à : l’église Notre-Dame-de-Lorette, Wendake (Québec) Par : David Donnelly, M.E.S. LL.B. Date : 4 février 2017